
Sans-abrisme et violence de genre : sortir les femmes de l’invisibilité
Un SDF sur 3 est une femme. On les voit peu parce qu’elles développent des stratégies spécifiques de protection, tant leur situation est préoccupante par rapport à celle des hommes sans-abri. Le service provincial VEGHA (Violence, Egalité de Genres en Hainaut), organise tous les quadrimestres des plates-formes thématiques à destination des opérateurs* de terrain, des séances d’information et de partage d’expériences qui se déroulent à Tournai, Mons et Charleroi. Et, en ce début d’automne, la thématique était un peu particulière : les liens entre le sans-abrisme et les violences faites aux femmes.
« En 2004, le sans-abrisme féminin était considéré comme marginal, car les femmes étaient « hébergées » – ce qui invisibilisait leur situation » explique Jérémy Wilmot du Relais social de Charleroi.
Les sans-abris, ce ne sont pas que ceux qui vivent dans la rue. Ce sont aussi des personnes qui vivent des situations d’hébergement précaires : en hébergement d’urgence, en foyer d’hébergement, chez des tiers (amis ou membres de la famille), etc. Le phénomène est donc plus vaste que ce que l’on en voit quotidiennement.
Et quand il s’agit de femmes, c’est encore plus compliqué. Ainsi, celles qui se retrouvent « à la rue » le deviennent suite à des violences conjugales, familiales et des violences sexuelles (36%), des pertes d’emploi ou une précarité économique (27%) qui se conjuguent souvent. Et quand elles sont sans-abri, elles sont souvent victimes d’autres violences, ce qui les amène à développer des stratégies de survie et une invisibilité forcée.

« Les femmes sans-abri cherchent souvent à se rendre invisibles pour se protéger » explique Véronique Barbieri du Relais social de La Louvière : « Elles préfèrent souvent dormir chez des amis, ou des connaissances plutôt que de passer la nuit dans un centre d’hébergement mixte. Pour certaines, la prostitution peut sembler le seul moyen d’obtenir de l’argent pour un repas ou une nuit d’hébergement.
Parfois, elles évitent d’avoir l’apparence « typique » d’une personne sans-abri pour éviter le danger. » Elle précise d’autre risques les touchant particulièrement : « L’accès aux produits d’hygiène de base (serviettes hygiéniques, etc.) est un défi constant. Les grossesses et les maternités à la rue posent également des risques majeurs pour la mère et l’enfant. (Par ailleurs) les traumatismes subis, l’isolement et la précarité entraînent une dégradation de la santé mentale et le développement de troubles psychologiques et mentaux qui peuvent être liés à des addictions à l’alcool ou aux drogues. »
« La violence reste en filigrane, même en maisons d’accueil, car elles sont souvent mixtes » commente Jérémy Wilmot : « C’est ce qui explique en partie toutes ces stratégies qu’elles mettent en place. »
Au 26, une maison d’accueil, d’hébergement et d’accompagnement des femmes et de leurs enfants de Charleroi, on est en pleine réflexion sur la problématique. Pour Lavignie Lovo : « Il y a des personnes qui deviennent sans-abri suite à des violences conjugales. Ce sont parfois des personnes qui étaient propriétaires et qui se retrouvent sans rien. »
Pour lutter contre l’insécurité, poursuit-elle, « il est temps qu’il y ait des lieux distincts » qui seraient plus sécurisants, comme le souligne l’étude « La rue et le genre… » menée par l’association Action vivre ensemble – ce qui ne signifie pas supprimer tous les lieux d’activités mixtes.
On le voit, le sujet est complexe. C’est pourquoi les opérateurs plaident pour un accompagnement spécifique qui prenne en compte le parcours de vie de ces femmes, notamment les traumatismes liés aux violences subies, ce qui nécessite de travailler en réseau avec d’autres opérateurs ; pour un renforcement de l’accès aux soins, notamment gynécologiques ; et pour sensibiliser le public et les professionnels aux réalités pour mieux identifier et aider ces femmes.
Ces réunions de plate-formes permettent ainsi d’aborder ce type de thématiques et de travailler ensemble à la conception de solutions collectives qui pourraient s’intégrer à toutes les réalités professionnelles de ces différents acteurs de réseau.

* Environ 70 participants se sont réunis durant ces séances de travail qui avaient lieu à Charleroi, Mons et Tournai : des travailleurs issus de différents organismes tels que les CPAS, Centres Psycho-Médico-Sociaux, Présence et Action Culturelle, plannings familiaux, services d’Aide à la Jeunesse, services VIF (violences intrafamiliales), maisons d’accueil, services d’aide aux victimes, maisons médicales, services d’assistance policière aux victimes, Plan de Cohésion Sociale, Centre de Prévention des Violences Sexuelles, service d’aide aux justiciables, Parquet de Justice, Refuges,…